La transformation digitale a-t-elle un sexe ?

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Par Aline Isoz
Consultante en transformation digitale

Evidemment, avec une accroche pareille, gageons qu’il y aura quelques commentaires consécutifs à la lecture d’un article qui, je l’espère, ne fera que semer encore davantage le trouble dans la valse des idées toutes faites qui fleurissent déjà et fleuriront encore dans les années à venir…

Déjà, vous pourriez vous interroger sur le bien-fondé de poser la question d’un « genre » pour la transformation digitale; pourtant, si je m’y aventure, c’est que, forcément, des éléments concordants et concomitants m’y conduisent.

D’un côté: le discours autour de la transformation digitale est aujourd’hui davantage porté par les hommes. Du moins par certains hommes, car là aussi, il y a clivage des « genres ». Quand je dis « les hommes », je parle de ceux, majoritairement dans la seconde partie, voire la troisième, de leur parcours professionnel, haut placés dans la hiérarchie, forcément issus d’une école de renom qui donne toute légitimité à leur statut d’influenceur, et, dans 99.9% des cas, blancs. Donc, un discours sur la fameuse transformation digitale tenu par une élite (la même depuis des siècles), et diffusé par des médias qui continuent de mordre à l’appât des porteurs d’image du siècle dernier, trop contents de pouvoir s’en faire le relais et profiter de l’effet de levier des titres et autres fonctions décorant la boutonnière des désormais « apôtres reconnus du digital ».

Comme de bien entendu, ces « visionnaires » ont potassé leur sujet, ou, tout du moins, ont su s’entourer de petites mains qui l’ont potassé à leur place pour en extraire une synthèse parfaitement digeste face aux journalistes participant ainsi de maintenir leur position de « gens qui savent » et qui, décidément, ont toujours un coup d’avance sur les autres…

De l’autre, la réalité de la transformation digitale est aujourd’hui de plus en plus régulièrement confiée aux femmes (j’en veux pour preuve les Chief Digital Officer ou secrétariat d’Etat au numérique recrutés parmi la gent féminine). Là non plus, ne nous leurrons pas: on parle bien de certaines catégories de femmes. Un peu plus jeunes que leurs homologues masculins (et au physique agréable, si possible), au parcours non moins méritoire, aux formations académiques tout aussi éloquentes, et, dans 99.9% des cas, blanches. Elles ont pour elles de mettre les mains dans le cambouis et d’assurer le fait, qu’au-delà des discours, larévolution en marche soit intégrée et digérée par la/les sociétés, soutenues par des médias davantage intéressés par leur profil multipare que par leurs réalisations, trop contents de pouvoir montrer qu’eux aussi, à leur niveau, « font de la place aux femmes » (comment ça, on n’en voit pas assez??!!).

Premier constat: la transformation numérique a en fait deux sexes. Les hommes en parlent et les femmes la mettent en oeuvre.
Question consécutive à ce premier constat : POURQUOI ?

Sans trop m’avancer, il semblerait qu’un des facteurs essentiels soient la compréhension et l’aisance avec laquelle les femmes abordent le digital. Alors même que les hommes continuent d’essayer de se rassurer en espérant que la numérisation soit avant tout un acte technologique, les femmes ont intuitivement intégré le fait qu’elle est avant tout sociale, et qu’au-delà des outils, elle implique des comportements relationnels nouveaux.

Non, je ne m’engagerai pas sur la voie périlleuse des arguments visant à associer aux femmes davantage de compétences relationnelles, sociales, empathiques, collaboratives, participatives, etc., qui expliqueraient leur meilleure adéquation avec les pré-requis culturels du digital. Car ces compétences ne sont nullementl’apanage des femmes, n’en déplaise aux esprits chagrins qui y trouvent une bonne excuse à leur propre incapacité à se transformer; si les femmes s’avèrent plus à même d’exploiter ces compétences, c’est parce qu’on leur en a reconnu le droit, voire même qu’on les a encourager à les développer.

Ainsi donc, il ne s’agit pas de caractéristiques innées, à mon grand regret… J’aurais aimé vous dire, mesdames, que l’avenir nous appartient parce que nous sommes naturellement « équipées » pour nous en emparer; j’aurais aimé vous dire, messieurs, que le digital sonne le moment de l’obsolescence de compétences – les vôtres – et qu’il ne vous reste plus qu’à faire place nette devant l’évidence.

Hélas: nulle génétique derrière la montée en puissance des femmes, nulle hérédité à l’origine de l’inadaptation des hommes. L’être humain, tout comme la machine, est programmable. Et ce sont d’autres êtres humains qui le programment: de la crèche à l’Université, du foyer à la cour de récréation, c’est nous qui plaçons les rails qui vont permettre aux « filles » d’assumer leurscompétences relationnelles et aux « garçons » de ne pas trop les exprimer; nous encore qui définissons ceux qui ont « le plus de chance » de « réussir »; nous qui partons du principe qu’il vaut mieux être « un homme, blanc et en parfaite santé » que toute autre catégorie; nous qui valorisons le fait d’être « jolie » chez les unes, alors que nous mettons en exergue le fait d’être « courageux » chez les autres.

Tandis que nous reprochons à la machine son manque d’intuition et d’intelligence émotionnelle, que nous redoutons une intelligence artificielle sans empathie au profit de qualités logiques, rationnelles et « froides », nous nous efforçons depuis des siècles de mettre au pouvoir ceux qui disposent de ces mêmes caractéristiques, parce que nous nous méfions justement de l’irrationalité de l’intuition, de l’intelligence émotionnelle et de l’empathie.

Si la transformation digitale a bien deux sexes, elle n’accepte aujourd’hui qu’un seul genre, qu’un stéréotype. Et si elle ne se développe qu’autour de ce genre-là, les futurologues les plus pessimistes ont bien raison de penser qu’elle marquerala fin de la domination de l’Homme sur le reste du monde. Avec les mêmes caractéristiques, mais plus d’efficience, la machine remplacera avantageusement ceux qui, aujourd’hui, refusent d’inclure dans leur discours ce qui fait la particularité de l’être humain: sa diversité.

Par Aline Isoz
Consultante en transformation digitale

SourceAline Isoz
Olivier Petit
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