Par Mélanie CHANEYManager en communication stratégique et digitale 

La suprématie de l’Internet mobile

Au préalable, revenons sur quelques éléments contextuels. Le téléphone mobile est devenu le premier outil de communication du XXIe siècle. En octobre dernier, selon les statistiques de StatCounter (une entreprise irlandaise en capacité de mesurer le nombre de visites sur un site web), l’usage du smartphone a dépassé celui de l’ordinateur au niveau mondial. Par ailleurs, n’importe qui a la possibilité de se connecter à tout moment, n’importe où et sur n’importe quel support. Par ce don d’ubiquité, l’individu est potentiellement un ambassadeur, un influenceur ou un leader d’opinion.

Dans ce paysage numérique, nous parlons moins aujourd’hui de réseaux sociaux que de médias sociaux. Si à l’origine ces médias représentent des innovations d’usages, ils révolutionnent à présent les comportements. Ils décuplent de façon exponentielle, et parfois imprévisible, la portée de toute action de communication lorsque celle-ci trouve écho au sein d’une communauté, d’une tendance ou d’une émotion collective. Nous en avons récemment pris la mesure avec l’élection du nouveau président des Etats-Unis. Dans le même temps, l’évolution des technologies est permanente. Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et les NATU (Netflix, Air BNB, Tesla et Uber) donnent la cadence de ces mutations. Les algorithmes érigés par Google, numéro un des moteurs de recherche, délimitent le terrain et les règles de la vie numérique. Le domaine de la communication s’étant considérablement complexifié et les entreprises doivent trouver les moyens de s’adapter dans cet environnement.

Les nouveaux maîtres du monde

 Face à ces enjeux, le piège serait de tomber dans un solutionnisme digital, une idéologie portée par les grands groupes américains d’internet qui façonnent l’univers numérique. Eric Schmidt, président exécutif de Google, annonçait lors d’une conférence en 2012 :
« Si nous nous y prenons bien, je pense que nous pouvons réparer tous les problèmes de monde. »
Prétendre apporter une réponse aux enjeux économiques par la seule mise en place d’outils numériques est un leurre et se révèle parfois contre-productif (de nombreuses entreprises se sont désinvesties de Facebook après y avoir consacré des budgets très importants). Le pouvoir de la communication découle d’une méthodologie, sauf lorsqu’il dépend d’un phénomène de sérendipité ou d’intelligence du hasard (terme qui désigne la sagacité accidentelle et le rôle des découvertes inattendues dans la façon d’utiliser Google, Facebook et la blogosphère à travers une recherche), encore faut-il vouloir s’en remettre au hasard, avoir de la chance, ou bénéficier d’un public acquis. Selon certaines analyses le contexte est roi, pour d’autres, c’est le contenu partagé qui prime. Mais aujourd’hui, c’est la qualité de la relation personnalisée qui est au cœur de la communication. La publication des résultats, les aspects opérationnels, sensationnels, émotionnels, et la forme, sont aveuglants. Ces éléments, qui font intégralement partie d’un processus de communication font trop souvent obstacle à l’étape de la réflexion.

À l’ère du « tout, tout de suite », les entreprises se voient proposer des sites, des comptes, des réseaux qui représentent autant de vitrines que de facettes exposées à toutes les offensives informationnelles possibles. Une surexposition ou une exposition numérique mal contrôlée peut dans certain cas donner lieu à des failles importantes et fragiliser la réputation d’une entreprise. Notons que l’explosion des cyberattaques n’est pas étrangère à ce phénomène. Il est très important que l’entreprise puisse être en mesure de maîtriser sa communication par les ressources humaines et les moyens techniques qu’elle possède, et non au-delà. Il est important également qu’elle aborde, en particulier dans certains cas, des questions de sécurité numérique. Des prestataires spécialisés dans le hacking éthique proposent des tests d’intrusion et des correctifs techniques. Aujourd’hui ce besoin a largement dépassé le secteur bancaire et agit sur la réputation des entreprises.

Parlons de processus. Comme le disait Sun Tzu, philosophe chinois connu pour son œuvre sur l’art de la guerre : « le chef de guerre qui triomphe est celui qui est le mieux avisé ». Le travail de recherche, d’analyse et les moyens de l’entreprise sont déterminants pour l’élaboration d’une stratégie efficiente. Faire l’impasse sur un benchmark, une approche globale, c’est tendre vers un solutionnisme digital factice. L’analyse du contexte et des ressources humaines, financières et techniques de l’entreprise sont la base de toute réflexion qui déterminent des choix stratégiques de première importance. C’est une étape qui prend plus ou moins de temps selon la taille de l’entreprise, son secteur d’activité, le nombre d’influenceurs et de parties prenantes. Mais consacrer du temps à cette étape, c’est en gagner. C’est le moyen d’éviter les écueils tel que : investir à mauvais escient, revenir sur des décisions, être dépassé par une communication mal maîtrisée, être peu satisfait des retombés des actions mises en place et rencontrer des problèmes liés à sa réputation.

Moins il y a de place au hasard, plus l’entreprise peut escompter des résultats répondant à ses objectifs commerciaux et managériaux.

« Ce qui compte, ce n’est plus la transaction mais le lien…  »

Si l’on se réfère au sondage « Les déterminants de la confiance » par Deloitte et Opinionway. D’un point de vue organisationnel, beaucoup d’entreprises fonctionnent encore en silos (chacun son service, chacun son langage, chacun son environnement) et de façon pyramidale au niveau hiérarchique. Cependant, le fait que des clients et des collaborateurs soient partout et utilisent tous les canaux de communication simultanément encourage les entreprises à revoir leurs stratégies en faveur d’une convergence et d’une cohérence des informations délivrées. Il y a un phénomène d’horizontalisation des pouvoirs d’influence.

Tous ambassadeurs

La différenciation concurrentielle se joue d’une part sur la proactivité et la réactivité, donc la capacité à anticiper, et d’autre part sur la capacité à répondre en temps réel partout et à tout instant. Il ne s’agit pas de multiplier les points de contacts mais d’apporter une synergie entre les différents canaux de communication afin de renforcer le positionnement de l’entreprise. Cela suppose de s’attacher à des valeurs, l’un des éléments qui participe à la réputation d’une entreprise. En effet, la segmentation des cibles de la communication se fait aujourd’hui par type de comportement mais aussi selon des critères de partage de valeurs. Là encore, tous les acteurs de l’entreprise qu’ils soient internes ou externes se trouvent impliqués. Les employés comme les clients sont les ambassadeurs d’une entreprise et d’une marque.

La mise en exergue de l’identité de marque passe par la construction d’une histoire (cf. le storytelling : lire à cet égard le livre éponyme de Christian Salmon et celui d’Eric Delbecque, L’influence ou les guerres secrètes) qui parle à tous les acteurs d’une entreprise, des collaborateurs aux clients. Aucune cible ne doit être négligée car chacun est potentiellement porte-parole de la marque de l’entreprise. Si la relation est au cœur des problématiques de communication actuelle, elle ne peut se construire qu’avec le temps et la confiance.

N’oublions pas qu’un message négatif est plus viral qu’un message positif : c’est pourquoi les entreprises doivent essentiellement manager la relation. Enfin le pouvoir stratégique de la communication tient davantage à la qualité qu’à la quantité, l’application de procédés plutôt qu’à la précipitation, et la réputation plutôt qu’au budget.
Même si la France est en train de devenir une « startup factory » pour reprendre les termes de  Catherine Barba :

« Chacun dans l’entreprise doit être capable de formuler clairement en quoi le digital transforme sa chaîne de valeur. »

Les entreprises doivent repenser leur fonctionnement en faisant du digital une priorité numéro un mais pas à n’importe quel prix.
Par Mélanie CHANEY, Manager en communication stratégique et digitale 
SourceACSE Association (Mélanie CHANEY)