Par Fabienne Billat

fabienne-billat2E-commerce, intranet, réseaux, cloud, devices, applis, data… Nos sociétés ont basculé dans le numérique. Personne n’y échappe, surtout pas l’entreprise. Il ne s’agit pas ici d’évoquer son niveau d’informatisation, mais d’entrevoir et d’initier l’assimilation du numérique en son sein, laquelle nécessite une véritable acculturation interne, à toutes les strates. Or, paradoxalement, les entreprises accusent un certain retard par rapport à la société, plus en phase avec l’accélération du monde. Le digital peine les intégrer. Et la façon de collaborer évolue peu dans nos organisations économiques, encore marquées par les tâches compartimentées, spécifiques, sous contrôle d’une hiérarchie pyramidale. Les verticalités, les silos, sont historiquement nos fondamentaux. Pour nombre de sociétés, les processus de développement, de commercialisation, tout comme les relations clients, sont standardisés.

Un impératif : s’adapter

 Matthieu Aubusson de Carvalay
Matthieu Aubusson de Carvalay

Pour la développer, le dirigeant doit gérer l’entreprise mais aussi l’organiser en intégrant les bouleversements pointés par Rich Lesser : la mondialisation, la concurrence croissante, la technologie. Assimiler ces évolutions implique une qualité sine qua non : la capacité d’adaptation. « La question n’est plus d’avoir une stratégie digitale, mais d’avoir une stratégie dans un monde digital », affirme Matthieu Aubusson de Carvalay, de PwC, résumant ainsi cette faculté qui fait défaut à certaines structures. De fait, si une entreprise travaille dans un modèle B2C ou si elle est engagée avec d’autres entités de la chaîne de valeur dans un modèle B2B, ses activités transitent par le paysage numérique. Sans en être la finalité, le digital est désormais, et à jamais, le mode business…

Le consommateur : un internaute exigeant, au fait de la concurrence

72% des acheteurs B2B utilisent les réseaux sociaux pour s’informer, chercher une solution. 22% prennent directement contact avec les fournisseurs. Le consommateur, exigeant, s’exprime, partage, critique, notamment lorsque qu’un service ou un produit ne lui a pas donné satisfaction. En surfant sur le Net, où sont hébergés quelque 600 millions de sites web, il accède en quelques clics à toute information plus rapidement qu’en s’adressant aux services clients de la marque. Favorisé par le marketing cross-canal et accéléré par la réactivité inhérente au Web, le parcours du consommateur est ainsi multiplié par maints points de contact.

Il s’agit donc pour l’entreprise de proposer à sa cible un contenu ou un service personnalisé. La création de valeur se porte alors plus sur les interactions entre le client et les services personnalisés que sur le produit lui-même, devenu partie d’une offre de service. Cependant, comme en témoigne une analyse de Google (The Customer Journey to Online Purchase), les réseaux sociaux ne sont pas des sites de vente pour l’entreprise. Ils jouent un rôle de plateformes, de supports pour communiquer et collecter les impressions des internautes (Hugo Lauras, Andlil). Leur atout majeur est de sensibiliser le client potentiel, d’approfondir la relation, de développer l’intention d’achat. Les échanges, l’écoute, favorisent les insights clients : mieux connaître pour mieux cibler et susciter l’engagement.

Gilles Babinet
Gilles Babinet

Les entreprises B2B ont généralement bien intégré cette démarche : selon une étude de la FEVAD, 14% d’entre elles vendent directement en ligne et 19% achètent sur internet. Et, pour 2/3 des acheteurs B2B, les fournisseurs choisis sont ceux qui ont su proposer des contenus appropriés à chaque étape du processus d’achat. 82% des interrogés confirment que la qualité et la pertinence des contenus ont joué un rôle significatif dans leur décision d’achat. Mais la vigilance est de mise en matière de publicité sur les réseaux sociaux : le consommateur la fuit. Pour parer à cette difficulté, Gilles Babinet parle de dé-verticalisation dans l’excellent livre blanc de Adobe et Valtech « la transformation digitale ».

Sur les activités du retail, le suivi du client connecté est encore plus évident : l’expérience montre que les services proposés sur le Net participent à la hausse de fréquentation, voire à l’acte d’achat en magasin. Philippe Houzé, Président des Galeries Lafayette : « 40% des utilisateurs du service en ligne click & collect dépensent davantage lors de leur passage aux Galeries Lafayette ». De son côté, le site de géolocalisation Mappy a compris l’enjeu et réagi opportunément en intégrant les commerçants au coeur de ses plans de localisation. Or, si la géolocalisation est une pratique courante dans la vie quotidienne, 57% des commerces n’ont pas de site web et sont absents de la toile ! Et pourtant, confirme Nicolas Odet (Hardis), “Ce sont les marques qui gravitent autour des consommateurs et non l’inverse. Les entreprises n’ont pas d’autre choix que de modifier profondément la relation qu’elles entretiennent avec leurs clients “. Quant à la e-reputation de la marque ou de l’entreprise, elle dépend avant tout du consommateur. Or, on constate une baisse générale de la réputation des grandes entreprises, tant en termes de confiance globale (50 % de note moyenne, en baisse de trois points) que de qualité des produits et services proposés (47 %, soit moins deux points). (Chiffres Syntec RP).

Une nécessité : l’adhésion au sein de l’entreprise

87% des salariés fréquentent les réseaux pour des raisons personnelles et 0,4% pour des raisons professionnelles ; 42% des cadres déclarent les utiliser à des fins personnelles et 12% à des fins professionnelles (Enquête Observatoire CEGOS 2012). Or, l’adhésion des employés au numérique est un vecteur de réussite essentiel. Stéphane Richard, PDG d’Orange : “Parallèlement à l’«expérience client» qui vise à s’assurer que le client est satisfait de sa relation aux produits et aux services de l’entreprise, celle-ci doit prendre en compte l’«expérience salarié » dans laquelle le numérique sous toutes ses formes tient une place centrale.” Cependant, un tiers des dirigeants et responsables informatiques interrogés appréhendent de faire le pas, préoccupés par leur difficulté à s’adapter à ces technologies. Ces chiffres remarquables (Etude Digital ready auprès de 30 000 collaborateurs de neuf entreprises) montrent les limites du développement numérique. Seuls 46% des responsables interrogés prennent en compte son intégration dans la stratégie de leur entreprise. Chiffre paradoxal comparé aux 81% des dirigeants qui estiment que les avancées technologiques transformeront leur entreprise dans les cinq prochaines années (L’atelier BNP Paribas).

Quels sont les freins à l’intégration du numérique ? La peur de perdre son emploi, d’être remplacé par des logiciels, des robots… ? La crainte de relayer de mauvais contenus ? Il revient aux managers de discerner les obstacles et de les envisager avec la direction des Ressources Humaines. A contrario, quid des avantages de la digitalisation pour les collaborateurs ? En priorité, les objectifs de business : gain de compétitivité, de qualité, de parts de marché, de leadership. Mais aussi, pour tout un chacun, une visibilité accrue et la constitution d’une e-réputation numérique. De fait, en relayant du contenu économique pour animer leurs comptes sociaux, les collaborateurs témoignent de leur engagement envers l’entreprise, dévoilent un profil attractif et augmentent leur employabilité.

Recréer du lien et du travail collaboratif

De manière générale, le taux d’engagement dans l’entreprise est faible : 13% en France (Rapport Gallup). Ce chiffre, révélateur d’un malaise, traduit le besoin de plus de lien, plus de sens. Or, le numérique, qui a cette vertu d’associer salariés, collaborateurs, voire clients et fournisseurs, peut devenir vecteur de liens pour humaniser les contacts, incarner les relations. Le réseau intranet, par exemple, constitue un bon levier de démarrage et offre une couverture transversale bienvenue pour amorcer la digitalisation. En effet, le numérique instille un esprit collaboratif entre les étages, accélère les prises de décision, gomme les hiérarchies. En impliquant ses équipes dans cette évolution, la gouvernance peut développer leur appétence. Par ailleurs, le marché du travail découvre la génération Y : « 72% des 12 / 25 ans déclarent ne pas pouvoir se passer d’internet pendant une journée… » affirme Joël de Rosnay (Surfer la Vie). Si l’entreprise est mature digitalement, les jeunes recrues y trouveront leurs points de repères, performeront avec leurs codes, tels que le travail collaboratif. C’est là l’opportunité de faire émerger un sociogramme (diagramme des liens sociaux) parallèle à l’organigramme et initiateur d’une dynamique du groupe. Enfin, des membres de l’entreprise peuvent se révéler moteurs du changement vers la digitalisation via des initiatives localisées, comme la gestion du site web, l’animation du réseau interne, du CRM. Arrive cependant le stade où l’addition des initiatives autonomes ne suffit plus. Il convient de donner à l’entreprise les moyens de basculer dans un cadre numérique structuré et, pour éviter le déséquilibre entre les usages des collaborateurs, d’assurer la coexistence entre qui est dans la dynamique digitale et qui est en recul.

La formation est l’autre critère majeur de réussite. Formation aux réseaux sociaux, proposée à tous les collaborateurs et tous les métiers. Fred Cavazza, de emarketing.fr : « Ce sont tous les services de l’entreprise qu’il faut faire monter en compétences afin d’intégrer les logiques et la pratique des médias sociaux. » Mais aussi formation à la culture de ”l’être connecté”, dont le champ est vaste et rebondit d’outils en contacts, des achats via internet à la publication de photos. Formation enfin aux technologies inhérentes au fonctionnement de l’entreprise : e-business, géolocalisation, stockage de données dans le cloud, objets connectés, reconnaissance faciale… Sans oublier l’usage de l’outil individuel, comme des smartphones et des tablettes. Le digital est un écosystème et doit être perçu et transmis comme tel. En se développant, l’acculturation des équipes insuffle une dynamique collective.

La clé : une gouvernance motivée

La motivation des dirigeants est essentielle pour mettre en place l’acculturation et la transformation numérique. Celle-ci nécessite une révolution managériale d’ampleur, forte d’une vision de l’apport du digital et d’objectifs quantifiés. Le rôle du manager en sera cependant diminué, au sens où il sera moins qu’auparavant courroie de transmission, d’autorité ou de savoir. Avec le numérique, le pouvoir se renverse et se partage au profit d’une autorité de la compétence et d’un leadership partagé. La position du manager se situe alors dans le coaching, la réflexion, l’analyse. Qui, dès lors, pour conduire cette transformation ? La pensée dominante veut que le service marketing soit le plus habilité. D’aucuns font valoir que ce management revient à la Direction des Services Informatiques. Une autre approche est la création d’un nouveau rôle, “l’officier en chef numérique”, hybride d’un exécutif de la technologie, et d’un responsable marketing engagé. C’est certainement dans le panachage de ces métiers, et selon la courbe de maturité de l’entreprise, que l’on trouvera les solutions. Alors, peu importe qui conduira l’agenda numérique, mais il revient à chaque dirigeant d’impulser les gouvernances, de « banaliser le digital, exprimer et communiquer avec clarté les enjeux. C’est une question de culture plus que de technologie  » (Bernard Cathelat).

SourceLes Echos
Fabienne Billat
Communicante par nature, Fabienne Billat a une expertise en communication digitale. Elle a inspiré une réflexion sur l’intégration du numérique à toutes les strates de l’entreprise, intervient auprès des grands groupes, et assure le conseil en transition digitale. Responsable Femmes du Numérique (Syntec) Lyon Rhône Alpes Auvergne

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